De quelle manière les divers discours (et thèmes abordés) à travers les médias américains à propos du cas Armstrong Williams illustrent les relations entre journalisme et relations publiques ?
C’est la seconde question de recherche de Marina Vujnovic dans son article Framing Professionalism and the Ethics of Journalism and Public Relations in the New Media Environment : The Case of Armstrong Williams.
 Dans une des citations reprises de  l’article  Spinning Frenzy: P.R.'s Bad Press, l’affaire Armstrong Williams est  présentée comme un exemple d’une relation étroite entre commanditaire et  commentateur. Cette relation étroite viole l’esprit et la lettre de la tradition  journalistique en matière de conflit d’intérêt et de divulgation. Par ailleurs,  on identifie généralement les relations publiques comme une pratique  professionnelle dont le but avoué consiste à transmettre (voir à plaider) un  message au nom d’une personne ou d’une organisation et cela, en toute  transparence. Cette notion de transparence devient la clé maîtresse puisque le  public devrait savoir d’où vient l’information…
Journalisme et relations  publiques feraient donc face à deux problèmes mutuels. Le premier vise à  atteindre un grand auditoire tandis que le second, un peu plus compliqué,  consiste à pouvoir différencier un reportage journalistique d’une activité de  relations publiques et surtout, de les différencier d’une activité de propagande  ou de fausse plaidoirie (false advocating).
D'autre part, Williams s’est aussi défendu en soulignant qu’il croyait fermement au programme No Child Left Behind du gouvernement américain. S’il y croyait tant, on peut se demander alors pourquoi le gouvernement américain (par l’entremise d’un cabinet de relations publiques) lui aurait versé près d’un quart de million de dollars pour prêcher la bonne nouvelle ? N’avait-il pas déjà un allié en Williams ? Cette somme n’aurait-elle pas pu servir plutôt à d’autres types d’activités ? Par exemple des séances d’informations ou des rencontres auprès de journalistes qui eux doutaient du bien-fondé du programme ou qui s’y opposaient ? C’est probablement la crédibilité de Williams (à titre de journaliste), l’auditoire qu’il rejoignait et bien entendu, ses vues conservatrices qui ont incité le gouvernement à faire appel à ses «services».
Par ailleurs, selon Vujnovic,  ce qui a endommagé la réputation des relations publiques à travers ce cas n’est  pas tant le manque de transparence de 
Analyse des discours 
Le ton employé à travers tous les articles analysés demeure très critique. On l’identifie par le biais de mots-clés et de métaphores utilisés pour décrire les deux professions. L’article du NYT All the President’s Newsmen du chroniqueur Frank Rich en est une très bonne représentation. On y retrouve quelques perles comme celles-ci :
[…]
« But perhaps the most fascinating Williams TV appearance took place in December 2003, the same month that he was first contracted by the government to receive his payoffs. At a time when no one in television news could get an interview with Dick Cheney, Mr. Williams, of all "journalists," was rewarded with an extended sit-down with the vice president for the Sinclair Broadcast Group, a nationwide owner of local stations affiliated with all the major networks. In that chat, Mr. Cheney criticized the press for its coverage of Halliburton and denounced "cheap shot journalism" in which "the press portray themselves as objective observers of the passing scene, when they obviously are not objective."
 This is a scenario out of "The Manchurian  Candidate." Here we find Mr. Cheney criticizing the press for a sin his own  government was at that same moment signing up Mr. Williams to commit. The  interview is broadcast by the same company that would later order its ABC  affiliates to ban Ted Koppel's "Nightline" recitation of American casualties in  Iraq and then propose showing an anti-Kerry documentary, "Stolen Honor," under  the rubric of "news" in prime time just before Election Day. (After fierce  criticism, Sinclair retreated from that plan.)
Thus the Williams interview with the vice president, implicitly presented as an example of the kind of "objective" news Mr. Cheney endorses, was in reality a completely subjective, bought-and-paid-for fake news event for a broadcast company that barely bothers to fake objectivity and both of whose chief executives were major contributors to the Bush-Cheney campaign. The Soviets couldn't have constructed a more ingenious or insidious plot to bamboozle the citizenry. »
[…]
 " So far two  Government Accountability Office investigations have found that these Orwellian  stunts violated federal law that prohibits "covert propaganda" purchased with  taxpayers' money. But the Williams case is the first one in which a well-known  talking head has been recruited as the public face for the fake news instead of  bogus correspondents (recruited from p.r. companies) with generic eyewitness-news  team names like Karen Ryan and Mike Morris. » 
L’analyse critique du  discours identifie deux catégories de mots, négatifs et positifs. On obtient une  bonne idée de la première catégorie par le biais du texte de Frank Rich.
Cependant, des mots plus  positifs ont été utilisés pour décrire ce que le public devrait comprendre des  deux professions : éthique, transparence, responsabilité, intégrité,  objectivité, confiance du public, honnêteté et divulgation. Dans cette optique,  les relations entre journalisme et relations publiques se trouvent davantage  entrelacées. Ce n’est pas ce qu’on a eu l’habitude de lire dans les textes  habituels traitant des deux professions et de leur relation. (Voir par exemple,  l’étude suivante :  Journalists’ hostility toward public relations: an historical analysis).
Si les deux professions  déclarent fréquemment servir l’intérêt du public avec intégrité, ce qui démarque  nettement les relations publiques du journalisme se situerait au plan du  plaidoyer  ou de la défense  (advocacy)  au nom (en faveur de et/ou au profit) de quelqu’un, d’une organisation et/ou de  ses idées ou enjeux et cela,  en toute transparence. Selon Vujnovic, cet aspect des relations publiques irait  à l’encontre des normes journalistiques… à quelques exceptions près dont le commentaire qui devrait toujours être  accompagné d’une divulgation. (Revoir la citation de Michelle Blanc à ce propos  dans la seconde partie de ce billet/8 juin 2009).
L’analyse critique des  articles et commentaires sur le cas Armstrong Williams démontre aussi qu’une  série de questions éthiques ont été posées. De plus, la question de la  transparence demeure un des points saillants de tous les articles. On la relie  au professionnalisme à la fois en journalisme et en relations publiques.
Les thèmes soulevés (les  considérations déontologiques ou éthiques, la concentration au plan des  affaires, la commandite non divulguée, le silence, etc.) tentent de démontrer  que ce qui est mauvais pour le journalisme l’est tout autant pour les relations  publiques et ce qui est bon pour les relations publiques l’est tout autant pour  le journalisme, et vice-versa.
Ce constat s’oppose par  exemple aux analyses de Lee Salter (2005)  pour qui les relations publiques profitent amplement du journalisme alors que ce  dernier ne profite jamais des relations publiques… Salter souhaite aussi que les  deux professions (ou disciplines) ne soient plus chapeautées au sein d’un même  département de communication (pratique courante dans les universités  nord-américaines).
Selon Vujnovic, les prises de  position de Salter sont basées sur sa méconnaissance de la pratique des  relations publiques et de sa tendance à idéaliser le journalisme. Les  journalistes, selon la vision manichéenne de Salter, sont de « bons samaritains  » au service du public alors que les praticiens des relations publiques sont des  laquais au service du capitalisme…
Salter semble ignorer les grands bouleversements des vingt dernières années dans les médias (concentration, convergence, processus de production et globalisation). De plus, et comme plusieurs autres d’ailleurs, il aurait cette tendance marquée de bien sélectionner certains domaines controversés où les relations publiques interviennent dans le but de... mieux les dénoncer (industrie nucléaire, industrie du tabac, OGM, pharmaceutique, etc.). On s’en prend plus rarement à ceux qui font des relations publiques pour Greenpeace, Médecins sans frontières ou Amnistie internationale…
Par ailleurs, le professeur australien Ian Richards a déjà démontré que les grands bouleversements du monde des médias et des communications influencent la pratique journalistique. D’un point de vue éthique, il semblerait qu’une mutation soit à l’œuvre chez les journalistes. Leur responsabilité professionnelle serait transformée, voire redéfinie, en partie par les organisations qui les emploient. Il s’agit donc d’une tendance qui ressemble, une fois de plus, à celle des praticiens en relations publiques. Dans cette optique, les considérations éthiques, telle que la transparence, deviennent une problématique commune. L’affaire Armstrong Williams, selon Vujnovic, est un exemple illustrant que les deux professions se trouvent à une époque de grande transformation.
Et les blogueurs dans tout cela  ?  […]  Qu'on ne s'y trompe pas:  en posant la question qui a longtemps hanté Jean-René Dufort -- qu'est-ce qu'un  journaliste, au juste? --, c'est bel et bien au public que l'on pense. Les  blogues sont là pour le rester, comme en témoigne leur foisonnement lors de la  dernière campagne électorale. Mais l'enchevêtrement démesuré des genres, déjà à  la mode dans l'univers des médias, dessert au bout du compte le citoyen. »  Mais à la lumière des grandes  transformations du monde des médias et des communications, et considérant la  recherche et le besoin d’authenticité (voire de transparence) des publics,  verra-t-on des « relationnistes » devenir un jour de véritables journalistes  (i.e. travaillant pour un média établi) tout comme bon nombre de ces derniers  sont devenus relationnistes à mi-carrière ? Verra-t-on des blogueurs se  transformer en praticiens des relations publiques ou encore en journaliste ?  Verra-ton des journalistes et des relationnistes devenir des blogueurs  indépendants et gagner honorablement leur vie comme tant d’autres ?  Parions que toutes ces  transformations et mutations se produisent déjà. La clé de leur réussite, peu  importe l’activité, résidera dans la transparence.  Comme le mentionnent Shel Holtz et  John C. Havens dans leur livre  Tactical Transparency (Jossey-Bass/IABC), la transparence n'est pas une  option. Elle est aujourd'hui une responsabilité, voire une obligation, légale,  morale et compétitive. Bien entendu, il y aura toujours des facteurs et des  contextes qui exigeront que des informations ne soient pas divulguées, demeurent  secrètes ou confidentielles (droit, médecine, affaires, gouvernement,  journalisme, relations publiques, entre autres activités).  Cependant, l'opacité fait encourir  de réel dangers à tous ceux qui en prendront la voie.
L’article de Marie-Andrée  Chouinard, Médias-Le  poids du blogue, paru dans Le Devoir du 30 octobre 2008, au sujet des  conservateurs ouvrant leur porte aux blogueurs en dit assez long sur la  perception des journalistes. En voici quelques extraits :  […]
 
Le « pernicieux qui se  livre à des intérêts qu’il ne confie pas » qu’il soit un journaliste d’un  média « mainstream » ou web monolithique, un conseiller en relations publiques,  un blogueur (quel qu’en soit le genre) court à sa perte. Il me semble que c’est  là la leçon qu’il faudra retenir de tout ceci.
 
 


1 commentaire:
Wow! Le moins qu'on puisse dire Patrice, c'est que tu mets la barre haute en partant!
Bonnes réflexions sur toutes ces questions de transparence qui sont très présentes dans le web 2. D'ailleurs, dans une série de 3 billets que je présente bientôt sur mon blogue (j'essaie de terminer un livre sur le sujet en même temps...), j'aborde justement dans le deuxième ce que j'appelle "la nouvelle transparence" qu'obligera le web 2.
Au-delà de la rhétorique entre journalistes et blogueurs pour déterminer "lequel pisse le plus loin", je crois qu'il est absolument essentiel de se questionner sur notre responsabilité commune face à l'émergence d'un cynisme sans précédent chez les citoyens des pays industrialisés à l'égard des institutions et des médias.
Il suffit de consulter des études comme le Trust Barometer d'Edelman (http://www.edelman.com/trust/2009/) pour constater le sérieux de la situation. Le constat est implacable: les citoyens s'intéressent et croient de moins en moins aux sources et aux médias officiels, avec leurs histoires "formatées". Ils ne veulent plus de ces messages qui n'ont rien d'authentique prononcés par des porte-parole entraînés pour faire entendre leur "cassette" apprise par coeur! Ils croient à des gens comme eux, qui s'expriment de manière directe et sans mise en scène. Des gens comme eux.
Continuons la réflexion. Elle est fondammentale.
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