23 juin 2011

Hommage aux Grunig (Larissa & Jim)

Le dimanche 12 juin 2011, l'UQAM octroyait un doctorat honoris causa à Larissa et à Jim Grunig, à la suite de la recommandation de la Faculté de communication.

À ma connaissance, il s'agit d'un cas assez rare, voire unique, où une université octroie le titre honorifique à deux personnes formant aussi un couple, lors d'une même cérémonie.

Tous deux professeurs émérites de l'Université du Maryland, Larissa A. Grunig et James (Jim) E. Grunig ont fortement marqué la recherche théorique et empirique des relations publiques au cours des trente dernières années. Leur influence demeure à ce jour mondiale.

Il faut souligner cette belle initiative, sous l'égide du professeur Pierre Bérubé, qui a également eu l'excellente idée de réunir plusieurs universitaires et praticiens québécois avec le couple Grunig, au lendemain de la cérémonie.

Photo: © Denis Bernier (Courtoisie LAPCC/UQAM)
De gauche à droite: Guy Litalien, Francine Charest (Laval), Pierre Bérubé, Larissa Grunig, Patrice Leroux, Jim Grunig, Elizabeth Hirst (McGill) et Danielle Maisonneuve.
C'est ainsi que le Laboratoire d'analyse de presse Caisse Chartier a organisé une rencontre-causerie avec le couple Grunig où il a été question de l'évaluation des relations publiques dans l'optique des sept principes de la Déclaration de Barcelone - AMEC/IPR de juin 2010 -

Selon les chercheurs, ces principes offrent une base solide de réflexion et ont le mérite d'ancrer la recherche et l'évaluation à la pratique, malgré quelques bémols quant à la sur-utilisation de mesures quantitatives par rapport aux mesures qualitatives.

Je conserverai un très bon souvenir de ma discussion avec Jim Grunig quelques minutes avant que débute la causerie. Par exemple, je lui ai dit à quel point j'avais apprécié mes deux rencontres avec Patrick Jackson, la première fois en 1996 à Vancouver (si ma mémoire est bonne) et la dernière, à Chicago, en 2000 (quelques mois avant son décès prématuré). 

Ce que j'ignorais, c'est que Jackson était un proche des Grunig. À bien y penser, il y a effectivement une filiation assez étroite entre les deux, même si le premier a surtout oeuvré au niveau universitaire, tandis que le second s'est distingué en cabinet professionnel. Pour ceux que cela intéresse, Bill Sledzic a écrit un très beau billet sur Jackson en 2006: Celebrating the genuis of Pat Jackson

Je lui ai également parlé d'une de ses présentations (PPT) faite à Hong Kong à la fin de l'été 2009; elle m'avait marqué. Comme tous ceux qui partagent leurs connaissances, Jim Grunig m'a envoyé, dès le lendemain de notre discussion, l'article qu'il en avait tiré. À mon tour de le partager :

Grunig, J. E. (2009). Paradigms of global public relations in an age of digitalisation. PRism 6(2):
http://www.prismjournal.org/fileadmin/Praxis/Files/globalPR/GRUNIG.pdf.

Voici donc quelques perles "grunigiennes" retenues à propos de certains principes issus de la Déclaration de Barcelone.

Le principe # 2 énonce: "Il est préférable de mesurer l'effet sur les résultats (outcomes) plutôt que les productions (outputs)". Selon Larissa Grunig, l'un n'empêche pas l'autre. "Do it all", dit-elle. Il faut toutefois bien expliquer le contexte, la méthodologie et se méfier des aberrations statistiques potentielles. La surabondance de données, notamment due au phénomène des médias sociaux, exige des mesures qualitatives ainsi qu'une grande transparence à leur égard.

Le principe # 3 énonce: "L'effet sur les résultats globaux de l'organisation devrait être mesuré." Peut-on vraiment établir une valeur monétaire aux actions de relations publiques tel que le fait le marketing par exemple ? Comment peut-on mesurer les relations et ses effets à long terme sur les comportements des parties prenantes ? Ou encore les effets symétriques de la façon dont l'organisation comprend ou s'adapte à ses divers publics ? Les relations publiques offrent-elles vraiment un meilleur retour contre investissement parce qu'elles sont en mesure de réduire les risques, et par ricochet les coûts qui leur sont associés ? Comment bien mesurer ce qui relève du quasi intangible ?

Pour le principe # 5 - le plus controversé de tous selon le couple - "Les équivalences en valeur publicitaire (EVP ou AVE en anglais) ne sont pas représentatives de la valeur des relations publiques", Larissa Grunig juge l'énoncé encore trop faible... Elle aurait préféré un message plus fort du genre : "We are not going to do this anymore".

Quant à l'appui ou au soutien d'une tierce partie (third party endorsement), le plus vieil axiome des relations publiques en matière de crédibilité, il n'aurait jamais été prouvé comme étant concluant auprès du grand public. Selon les Grunig, il s'agirait même d'un mythe.

Par ailleurs, l'achat d'une annonce publicitaire comme celle du Groupe Maple pour expliquer le bien-fondé de son achat du Groupe TMX plutôt que par la London Stock Exchange, aurait beaucoup plus de crédibilité, auprès d'un public devenu aujourd'hui plus cynique, que le "unpaid media" ou même de l'appui d'un Bernard Landry. On jugerait ce type d'annonce comme étant plus franche et transparente qu'un article...

Enfin, l'énoncé du principe #6 "Les médias sociaux peuvent et doivent être mesurés" est prometteur dans l'optique où il est maintenant plus aisé d'écouter les parties prenantes et de s'engager auprès d'elles. En ce sens, les médias sociaux seraient-ils en mesure de réaliser les promesses de la communication bidirectionnelle symétrique ? L'analyse sémantique, telle que le propose un David Phillips, par exemple, peut contribuer à identifier rapidement des crises, des rumeurs ou même la montée rapide d'une catégorie de public susceptible d'affecter l'organisation.

Si, pour Jim Grunig, les médias sociaux donnent une voix plus forte et immédiate aux publics et permettraient même à ces derniers de participer aux décisions stratégiques de l'entreprise (on pense aux enjeux de développement durable par exemple), pour Larissa Grunig, la question de la veille ou du lurking, comme elle le dit, pose des défis d'ordre éthique qu'on ne peut ignorer non plus...

Merci encore aux collègues de la Chaire en relations publiques et communication marketing et au Laboratoire d'analyse de presse Caisse Chartier de l'UQAM.

Et merci de votre lecture !
 
Information complémentaire à propos de cette rencontre-causerie:


Patrice Leroux

7 juin 2011

Je tweete... moi non plus


Alors qu'on vient d'apprendre que Le Petit Robert intègrerait le mot Tweet dans sa prochaine édition de 2012, le Conseil supérieur de l'audiovisuel de la République française exige des grandes chaînes médias qu'elles se... retiennent de prononcer les mots Twitter et Facebook.


C'est que la  pratique assez répandue d'inciter l'auditeur ou le téléspectateur à consulter la page Facebook ou le compte Twitter  d'un média, en le citant nommément, constitue une publicité clandestine de marque...

Pour "éviter tout malentendu", le Conseil supérieur de l'audiovisuel a publié, en date du 6 juin 2011, la courte lettre envoyée aux chaînes de médias. En voici une partie :

 "La pratique consistant à renvoyer les téléspectateurs sur un réseau social sans citer celui-ci est informative. En revanche, les renvoyer sur ce réseau en le désignant nominativement revêt un caractère publicitaire, ce réseau émanant d'une société commerciale et sa dénomination étant déposée à titre de marque.

Cette pratique contreviendrait aux dispositions de l'article 9 du décret n° 92-280 du 27 mars 1992 fixant les principes généraux définissant les obligations des  éditeurs de services en matière de publicité, de parrainage et de téléachat, selon lesquelles « la publicité clandestine est interdite. (...) constitue une publicité clandestine la présentation verbale ou visuelle de marchandises, de services, du nom, de la marque ou des activités d'un producteur de marchandises ou d'un prestataire de services dans des programmes, lorsque cette présentation est faite dans un but publicitaire ».

En France, on ne semble pas trop avoir rué dans les brancards à la suite du rappel (ou de l'imposition) de l'article 9 du décret 92-280; les chaînes s'y sont pliées, notamment depuis l'affaire DSK, selon Numerama.

Plusieurs blogueurs, dont Benoît Raphaël, ont vivement critiqué, non sans ironie, la décision du Conseil mais plusieurs commentateurs la défendent, avec des arguments somme toute assez solides. Assez pour tenir une bonne et franche discussion...

Les Anglo-Saxons, il fallait s'y attendre, n'ont pas manqué de taper sur le clou de l'interventionnisme étatique... Mathew Fraser, l'American In Paris par excellence, marque tout de même des points en se demandant, entre autres, pourquoi cette preposterous regulation n'était pas appliquée à l'époque du Minitel et de ses services de messagerie de toute sorte... 

Médias français et réseaux sociaux américains devront bien se rejoindre un jour...

Merci de votre lecture !

Patrice Leroux
 
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