31 octobre 2016

Les médias sociaux comme arsenal de guerre

Image courtoisie de Pixabay
Il était bien utopique de croire que les médias sociaux engendreraient une époque de paix et de compréhension mutuelle entre les peuples.

Alors même que le navigateur Mosaic faisait à peine son entrée dans Internet et révolutionnait le web, les auteurs John Arquilla et David Ronfeldt publiaient leur "Cyberwar is coming"(1993). 

On y prédisait un avenir d'opérations militaires dans lequel du code informatique ferait partie des moyens d'attaque. On mentionnait aussi que le phénomène du "Netwar" affecterait des sociétés entières. 

La "guerre de l'information" vise à modifier, à déstabiliser ou à troubler ce qu'une population cible connaît ou pense qu'elle connaît.

Dans cette optique, Emerson T. Brooking et P.W. Singer signent un article dans la revue The Atlantic de novembre 2016 intitulé War Goes Viral - How Social Media is Being Weaponized.

Malgré les espoirs d'une Renaissance numérique permettant de réseauter avec de nouvelles personnes de partout au monde et de pouvoir se confronter à de nouvelles idées, il semble que les comportements numériques soient largement dominés par l'homophilie (dans le sens sociologique du terme). 

Force est d'admettre que l'écosystème socio-numérique ne met pas aux défis nos préjugés ni nos biais mais les renforce plutôt... Très peu d'empathie donc, avec des gens différents de nous mais une socialisation très forte avec ceux qui partagent notre point de vue...

Ce phénomène est d'ailleurs bien en évidence par l'entremise du projet "Blue Feed, Red Feed" du Wall Street Journal qui collige des actualités Facebook selon l'orientation libérale (démocrate) ou conservatrice (républicaine)...

L'EI et les médias sociaux

L'EI aurait réussi à recruter pas moins de 30,000 combattants venus d'une centaine de pays (dont de nombreux pays occidentaux) pour aller joindre ses rangs grâce aux médias sociaux. 

On apprend même que la ville de Moussoul aurait été prise, en partie, à cause de la propagande de l'EI (avec Twitter et Instagram en particulier) et son utilisation (ou sa réappropriation) de mots-clics transformant de petites batailles en grandes victoires... Assez pour instiller une panique chez ses opposants (beaucoup plus nombreux par ailleurs, curieusement).

Le succès viral de l'EI est même comparée aux tactiques utilisées pour mousser des lancements d'albums de chanteurs populaires américains...

Russie, Chine et Turquie (entre autres !)

Si la Russie demeure la grande pionnière de la désinformation avec ses "usines à trolls" et sa grande machine à propagande Russia Today (ici en français), d'autres pays comme la Chine et la Turquie ne sont pas en reste.

La Chine emploierait près de 2 millions de censeurs et de trolls pour protéger le pays contre les menaces d'informations externes. La prochaine vague, selon des rumeurs (fondées ou non) implique un "système de crédit" permettant de déterminer si on est un bon citoyen chinois ou non... 

Ce qui est intéressant avec la Chine, c'est que parfois les ultras se retournent parfois même contre le régime qui les a créés... (voir ici).

Du côté turc...on retrouve aussi des brigades de Twitter Trolls mais dans l'ensemble, ce qui s'y passe est assez désolant depuis les événements de juillet 2016 par rapport à la liberté de la presse...

Les objectifs centraux demeurent toujours les mêmes: occuper le territoire de l'information (ou de la désinformation); mobiliser les citoyens et supporteurs en faveur des positions de l'État (quel qu'il soit); et tant mieux si on accroît la fibre nationaliste...

Enfin, la National Academy of Sciences of the USA publiait au début de 2016 cette étude: The Spreading of Misinformation Online

Le danger, avec ces informations qui connaissent une soudaine popularité  - ou viralité - c'est qu'elles ne sont pas toujours précises, vérifiées ni mêmes véridiques...

Tout cela fait beaucoup plus peur que les petits monstres qui viendront cogner à ma porte en cette soirée de l'Halloween...

Merci de votre lecture !

Patrice Leroux


21 octobre 2016

Journalisme et relations publiques



Mon collègue Guy Versailles publie en cette fin d'année 2016 un essai remarquable sur la pratique des relations publiques dans un contexte de relations avec les médias (ou de relations de presse plus précisément).

Intitulé Journalisme et relations publiques, cet essai doit se retrouver dans la liste de lectures obligatoires des étudiants en relations publiques. 

Je me fais d'ailleurs un devoir de le transmettre à l'enseignant qui donne le prochain cours REP2300 Relations avec les médias du certificat de relations publiques. 

Parmi tous les champs de pratique et d'intervention en relations publiques, celui des relations de presse demeure un des plus sensibles. Dans cette optique, Guy Versailles propose une compréhension fine de la nature, du rôle et des contraintes propres au journalisme, d'hier à aujourd'hui.

À vrai dire, tout étudiant en journalisme devrait également obtenir une compréhension plus juste du rôle du relationniste de presse (ce "frère ennemi ou frère siamois" ?) même si l'essai est d'abord destiné aux praticiens des relations publiques. 

Par ailleurs, l'essai ne porte pas sur la tension, disons historique,  entre ces "deux groupes professionnels soudés à la hanche". Il vise plutôt à "repérer toutes les passerelles par lesquelles il est possible de construire le respect et la confiance." 

Accédez directement à l'essai en question (ici en pdf), à partir du site de la Société canadienne des relations publiques.

Retraçant de manière succincte mais pertinente l'histoire du journalisme, avec ses assises issues des libertés démocratiques fondamentales (liberté de parole et liberté de presse), Guy Versailles rappelle quelques époques charnières dont le rapport Hutchins sur le rôle des médias en société. 

À cette époque, et au lendemain de la 2e guerre mondiale, on se posait des questions sur un tas d'enjeux et de concepts cruciaux: la propriété et la concentration des médias (déjà), l'indépendance des journalistes par rapport au droit de gérance des éditeurs et par rapport aux autres formes de pouvoirs, le droit d'accès à l'information, la responsabilité sociale des journalistes et le droit du public à l'information, entre autres.

Éthique et déontologie journalistique

Un des nombreux mérites de cet essai repose sur l'analyse de plusieurs codes de déontologie dont ceux de la  FPJQ, du Conseil de presse du Québec et de la CAJ

Comme acteur social, le journaliste - et a fortiori dans le cadre du journalisme d'opinion ou de cause (advocacy journalism) - peut émettre son commentaire (par rapport à une simple nouvelle). Le commentaire doit toutefois reposer sur des faits solidement établis. On prévient ainsi les dérives démagogiques; le grand public (qui ne saisit pas toujours la différence entre nouvelle et opinion) obtient une perspective plus éclairée.

Relation entre journaliste et relationniste

La partie consacrée à la nature de la relation entre journaliste et relationniste demeure éclairante pour les étudiants en relations publiques. Elle balise les deux fonctions tout en soulignant un point commun: la défense de la libre circulation de l'information et l'expression de tous les points de vue.

[...]" En bout de piste, le public reçoit deux messages, deux interprétations de la réalité: celle émise par l'organisation directement, et celle relayée par les journalistes; (NDR: le cas échéant !) il arrive qu'elles concordent, mais il arrive aussi, souvent, qu'elles divergent". [...](p. 30)

[Les médias] "représentent le meilleur rempart contre les tentatives des organisations de dissimuler les faits défavorables à leur cause ou de profiter d'une situation pour asseoir indûment leur pouvoir; mais par le fait même ils représentent aussi un filtre qui peut complètement dénaturer la communication entre une organisation et ses publics". (p. 30)

S'il est entendu que le relationniste est porteur d'intérêts particuliers, ce dernier doit également s'assurer que l'information qu'il communique est exacte et complète (entre autres approches morales et éthiques). Cela fait même partie du code d'éthique professionnelle de la Société canadienne des relations publiques

Sur ce dernier point, je dirais que c'est ici la seule pierre d'achoppement de l'essai: aucune mention du code de déontologie en relations publiques. S'il existe des normes de compétences en journalisme, on en retrouve aussi en relations publiques.

Puisque la tension entre journaliste et relationniste demeure inévitable [...]" le défi constant est de l'exprimer de manière constructive plutôt que destructive. Même s'ils se concluent sur un désaccord, les échanges caractérisés par une écoute sincère et l'expression respectueuse et bien informée de points de vue reposant sur des opinions légitimes sont constructifs. Ils contribuent à construire le respect mutuel, à maintenir ouvertes les voies de la communication et les possibilités de dialogue; ils servent ainsi l'intérêt public." ( p. 33)

Plaidoyer en faveur du journalisme

L'essai de Guy Versailles aborde également la question de la formation, de l'encadrement professionnel et de l'avenir du journalisme même:  du débat sur le statut de la profession à l'explosion des médias sociaux et de leurs impacts sur la démocratie en passant par l'évolution ou la réinvention de l'entreprise de presse.

Dans cette optique, l'auteur plaide résolument en faveur d'un journalisme de qualité. Comme il le souligne: "la crise des médias est une mauvaise nouvelle pour nous tous. [...] L'appauvrissement des débats entraîne inévitablement, à terme, celui de la qualité des décisions." [...]

Je termine en rappelant cette célèbre boutade du théoricien américain Clay Shirky: Society doesn't need more newspapers, it needs journalism...

Probablement que Guy Versailles serait d'accord avec lui...

Merci de votre lecture !


Patrice Leroux






 
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