29 mai 2013

Mieux comprendre la e-réputation (3)

Image : Arztsamui / FreeDigitalPhotos.net
3e article d'une série de 4 ( Lire 1 et 2)

La plus grande catastrophe humaine dans l’histoire 
de l’industrie du textile

Le 24 avril 2013, un immeuble abritant des ateliers de confection de vêtements s’effondre dans une banlieue de Dacca, au Bangladesh. 

Bilan : plus de 1100 décès ainsi que des milliers de blessés18

L’événement fait les manchettes de nouvelles partout dans le monde. Très tôt, on découvre que de grandes marques populaires y faisaient confectionner des vêtements dont certaines marques « maison » détenues par de grands détaillants occidentaux19

La marque Joe Fresh, détenue par le détaillant canadien Loblaws, en fait partie. Bien que le site de Loblaws demeure coi, celui de Joe Fresh offre un lien, juste au-dessus de la ligne de flottaison, vers un communiqué dans lequel on reconnaît l’incident et où on y offre des condoléances20.

Tout en affirmant que Loblaws  établit des normes rigoureuses à l’égard de ses fournisseurs et en matière de responsabilité sociale, on reconnaît que ces précautions "n’englobent pas les aspects relatifs à la construction ni à l’intégrité des bâtiments". On promet tout de même, entre autres, de prendre un ensemble de mesures pour assurer un changement profond en matière de sécurité au travail. 

Loblaws, par le biais du site de Joe Fresh, renseignera d’ailleurs le public par l’entremise de ce lien tout au long des mois d’avril et de mai 2013. 

Par contre, l’onglet Salle de presse offert en bas de page, comporte un communiqué datant de juillet 2012... On y annonce un partenariat de vente au détail entre Joe Fresh et l’américain JC Penney. Ce dernier s’est bien gardé de mentionner l’incident sur son propre site21 mais certains médias américains n’ont pas manqué d’y établir un lien avec la marque canadienne22

Jusqu'à quel point une telle catastrophe peut endommager la réputation de ces organisations ? Plusieurs commentateurs soulignent que les consommateurs occidentaux oublieront rapidement ces pertes humaines et reprendront tout aussi rapidement leurs habitudes d’achat à bas prix, ce que leur permettent ces contrats d’impartition dans des pays comme le Bangladesh.  

La règle du mort-kilomètre se rétrécira-t-elle un jour ?

Qui plus est, au strict plan financier, le cours des actions de ces entreprises ne subit pas de baisse importante. Cela fait dire à plusieurs que ce type de catastrophe relève davantage d’un « problème de relations publiques » que d’un recul boursier.

Que faire quand la plupart des grandes crises qu’on affuble de « problème de relations publiques » sont en fait le résultat de pratiques opérationnelles ou de pratiques de gestion défaillantes et non de communication déficiente ?

On a parlé beaucoup de la compagnie Boeing et des problèmes de batteries de son Dreamliner en 2012 et au début de 201323. Curieuse coïncidence, les défaillances sont attribuées, elles aussi, à des problèmes d’impartition...

Cependant, il semble que plusieurs problèmes de nature opérationnelle ou de gestion courante deviennent plus largement des crises de relations publiques dès que le doute s’installe et la confiance, ébranlée.

Comment, en matière de relations publiques, expliquer ces défaillances qui relèvent plus souvent qu’autrement soit d’un problème de fabrication24 ou encore de problèmes de comportement liés à la corruption telle que le vivait la firme d’ingénierie SNC-Lavalin25

Ce qui est quasi certain, c’est que ce sont rarement les communications, les relations publiques ou les médias sociaux qui créent des crises mais plutôt les organisations26.


Références :

18 Le prix payé pour nous habiller (François Desjardins). Consulté le 14 mai 2013 http://www.ledevoir.com/economie/actualites-economiques/377438/le-prix-paye-pour-nous-habiller

19 Retailers Split on Contrition After Collapse of Factories (Steven Greenhouse). Consulté le 7 mai 2013 http://www.nytimes.com/2013/05/01/world/asia/retailers-split-on-bangladesh-factory-collapse.html?_r=0

20 Page d’accueil de Joe Fresh (consulté le 5 mai 2013).

21 JCPenney Media Room (consulté le 14 mai 2013).

22 JCPenney’s Very Good Bad Day (Daniel Gross). Consulté le 5 mai 2013.

23 Why Boeing’s 787 Dreamliner was a nightmare waiting to happen (Dominic Rush). Consulté le 4 mai 2013. http://www.guardian.co.uk/business/2013/jan/18/boeing-787-dreamliner-grounded

24 Boeing has an Airplane Problem, Not a PR Problem (Jonathan Salem Baskin). Consulté le 30 avril 2013

25 La réputation du Québec glisse encore (Patrice Leroux). Consulté le 4 mai 2013. http://patriceleroux.blogspot.ca/2013/01/la-reputation-du-quebec-glisse-encore.html.

26 Social Media Doesn’t Create a Crisis,- Companies Do (Danny Brown). Consulté le 4 mai 2013.


Merci de votre lecture !

Patrice Leroux

27 mai 2013

Mieux comprendre la e-réputation (2)



Image: Pixtawan / FreeDigitalPhotos.net

2/4 - Transparence et porosité (suite de 1)

Plusieurs grandes organisations semblent vouloir démontrer, à divers degrés, davantage d’imputabilité et de responsabilité sociale par le biais d’une transparence volontaire. 

La multinationale Proctor and Gamble est probablement l’une des premières grandes entreprises internationales à avoir utilisé le web à cette fin. Dès 2002, elle lançait son site Science in the Box8.  

Par le biais d’une vulgarisation scientifique, Proctor and Gamble vise à se rapprocher de certaines parties prenantes pour faire connaître ses actions en matière d’environnement et de développement durable. Toutefois, ce site offre peu d’interaction et semble éviter les besoins et attentes du web 2.0 (du moins dans les versions non-anglophones de ce site). 

D’autre part, il existe des critiques assez acerbes mais documentées sur les enjeux de la responsabilité sociale de grandes entreprises internationales et canadiennes, tel que le démontrait le professeur Bernard Dagenais, de l’Université Laval, lors d’une présentation donnée dans le cadre du congrès de l’Association francophone pour le savoir (ACFAS) en 20139.  

Un autre cas d’espèce, plus récent et répondant davantage à la nouvelle donne des médias socionumériques concerne le géant américain de l’alimentation rapide McDonald’s qui a mis sur pied, en automne 2012, un site web pancanadien de Q&R baptisé « Nos aliments. Vos questions10 ». 

Le principe est simple : on pose une question - à être validée - et quelques heures plus tard, on obtient une réponse personnalisée, souvent enrichie d’éléments multimédias, et à la vue de tous. La politique de publication est claire et assez simple. On peut aussi y faire une recherche et accéder aux milliers de questions déjà posées. Bien entendu, on facilite le partage des Q&R à travers trois grands médias socionumériques (FB, Twitter et Google+)

Cette initiative de transparence a été plutôt bien reçue dans son ensemble, autant par le grand public que par les milieux professionnels.

Par contre, la compagnie Coca-Cola Canada avait un peu moins de chance en lançant sa campagne publicitaire contre l’obésité Unissons-nous 11. La Coalition québécoise sur la problématique du poids, par exemple, dénonçait non seulement la campagne mais également le financement d’activités de certaines ONG12.  

La transparence volontaire des entreprises – par le biais de leur présence numérique - rend leurs activités plus poreuses et par le fait même plus perméables aux critiques de toute sorte.

La deuxième caractéristique - la porosité implique que les organisations sont devenues plus perméables et transparentes à partir du moment où les employés d’une organisation - ou toute autre partie prenante externe  - peuvent diffuser et relayer des informations avec facilité et rapidité, notamment par le biais des médias socionumériques. 

Relevant de la transparence, la porosité peut être planifiée, accidentelle ou encore se produire par inadvertance. Bien que les fuites d’information aient toujours existé, il semble que l’attrait des médias socionumériques et le désir de se raconter aient mené vers certains débordements coûteux. 

C’est certainement ce qui est arrivé à Gene Morphis en 2012, le CFO de Francesca’s Holdings Corp., qui divulguait des informations financières trop compromettantes sur ses fils d’actualité personnels Facebook et Twitter13.

Parce que tout consommateur d’information peut devenir aujourd’hui un producteur  - et davantage aujourd’hui grâce aux nombreuses fonctionnalités de la téléphonie mobile - cette plus grande porosité aurait mené les entreprises à se doter de charte ou de politique d’utilisation des médias sociaux pour les employés.

Politique d’utilisation ou non, les informations circulent à très grande vitesse et la mise sur pied d’un blogue ou d’un espace sur Facebook pour dénoncer des pratiques ou des comportements avec lesquels on n’est pas d’accord peut se faire tout aussi rapidement. 

C’est ce qu’a appris la Banque Royale du Canada (RBC) au début de 2013 à la suite d’une alerte d’un employé remercié dans le cadre d’une entente d’impartition technologique controversée, impliquant des travailleurs étrangers. 

Dévoilée d’abord dans les médias socionumériques14, la controverse s’est retrouvée à l’avant-scène des médias traditionnels, dont le réseau anglophone de la société d’état CBC/Radio-Canada15

Il n’en fallait pas moins pour que le PDG de la grande banque canadienne se "mette à l’écoute" 16 et fasse publier une lettre d’excuses aux employés touchés, intitulée très laconiquement " RBC diffuse une lettre ouverte aux Canadiens "17

Outre le titre lapidaire, ce qui étonne encore davantage est la nonchalance de la RBC au plan des méta-étiquettes dans le code source du communiqué. En effet, certaines balises du code HTML sont cruciales quand on souhaite que nos textes soient retrouvés rapidement par les moteurs de recherche et que ces textes s’affichent donc parmi les premiers résultats. 

Or, une recherche avec les quatre mots clés - en anglais - suivants : RBC foreign workers CEO ne faisait apparaître que des articles de médias ou de blogues. On obtenait le même genre de résultats avec les mots clés – en français – suivants : RBC impartition travailleurs étrangers

Un exemple tiré du code source du communiqué en question :

<meta name="description" content="RRBC fait la lumière sur les récents rapports dans les médias" /> 

Outre une utilisation précaire des balises <title >, <h1>, <h2> ou même <h3>, on remarquera ci-dessus que la balise "description" n’offre même pas un seul mot en lien avec l’enjeu principal. 

De plus, on se permet même une coquille malencontreuse dans le nom plus commun (et largement utilisé) de la banque en répétant la lettre « R » dans RRBC.  

Faut-il s’étonner que ce communiqué ne se retrouve pas parmi les premiers résultats des moteurs ? Comment l’institution bancaire peut-elle alors s’assurer que le message d’excuses du PDG sera connu ? En laissant le soin de cette tâche aux filtres des médias et des blogues ? 

Il semble que l’on soit ici devant un cas classique où les auteurs du communiqué (probablement issus des communications corporatives) ne "parlent pas" aux gens qui ont la responsabilité de mettre leur texte en ligne (les gens d’informatique). 

Il ne fait cependant aucun doute que ce type de lacunes peut affecter la réputation de l’institution bancaire. Aujourd’hui les spécialistes des communications et des relations publiques doivent comprendre, au moins minimalement, les bases du référencement organique.

Mêlez-vous de ce qui vous regarde !  

Références:

8 Proctor and Gamble : la carte du dialogue via Internet (Jean Lambert) Consulté le 5 mai 2013.

9 RSE : Mentir donne de si bons résultats (Bernard Dagenais) Consulté le 8 mai 2013.

10 McDonald’s Canada. Nos aliments. Vos Questions. Consulté le 2 mai 2013.

11 Coca-Cola Canada/Campagne publicitaire Unissons-nous. Consulté le 2 mai 2013.

12 Coalition québécoise sur la problématique du poids : Campagne publicitaire sur l’obésité - Coca-Cola tente de se donner bonne conscience. Consulté le 2 mai 2013.

13 Facebook and Twitter postings cost CFO his job (Rachel Emma Silverman). Consulté le 5 mai 2013. http://online.wsj.com/article/SB10001424052702303505504577404542168061590.html

14 Boycott Royal Bank of Canada. Consulté le 1e mai 2013.

15 RBC replaces Canadian staff with foreign workers. Consulté le 2 mai 2013.

16 RBC chief ‘listening’ after foreign worker controversy. Consulté le 3 mai 2013.

17 RBC diffuse une lettre ouverte aux Canadiens. Consulté le 3 mai 2013.


Merci de votre lecture

Patrice Leroux


24 mai 2013

Cadre conceptuel et critique pour mieux comprendre la e-réputation (1)

Image: Simon Howden

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Pour aborder les enjeux de la réputation numérique (ou e-réputation), on peut examiner trois caractéristiques des relations publiques en ligne : la transparence, la porosité et le pouvoir de transformation (ce que les observateurs britanniques nomment agency1). 

Les membres de l’Institute for Public Relations (IPR) ont d’ailleurs été les premiers à proposer cette approche à partir des années 2000. Ces trois caractéristiques offrent un cadre conceptuel et critique que les professionnels peuvent appliquer aux médias socionumériques, autant pour la communication interne et externe2.

Identité, empreinte et image numériques forment la e-réputation

Postulons tout d’abord que la e-réputation est formée généralement par l’agrégation de l’identité, de l’empreinte et de l’image numériques, le plus souvent obtenue à travers les résultats des moteurs de recherche mais aussi à travers d’autres canaux du web. 

L’identité se construit donc à partir de contenus dont nous sommes les auteurs ou encore les curateurs : blogue personnel ou professionnel, fil Twitter, profil personnel sur un réseau socionumérique tel que LinkedIn ou Viadeo, par exemple. 

Pour sa part, l’empreinte numérique s’élabore de manière beaucoup plus flottante. Il s’agit de traces qu’on laisse sur des canaux qu’on ne maîtrise pas directement même si nous sommes les auteurs de ces traces : commentaire laissé sur un autre blogue, réponse ou intervention dans un réseau socio-numérique, critique d’achat sur un site de e-commerce, pétition en ligne, etc. 

Si ce type de contenu a plutôt tendance à s’évaporer ou à se faire oublier, d’un point de vue plus personnel, il n’en demeure pas moins retraçable sinon stockable. Le forage de données, data mining ou data refinery est déjà une industrie des plus florissantes3

Enfin, notre image numérique se façonne à partir de ce que les autres écrivent, disent et perçoivent de nous depuis leur propre identité ou empreinte numérique.

Du côté des entreprises, la e-réputation éprouve sensiblement les mêmes règles et en subit aussi les trois grandes caractéristiques. Selon des chercheurs du CIRANO4, « la réputation constitue à elle seule le plus important moteur de création ou de destruction de valeur ». 

Non seulement peut-elle lui conférer un avantage concurrentiel unique, elle peut également stabiliser ses états financiers et même prévenir une perte de valeur importante lors de turbulences économiques ou encore d’une crise. 

Alors que la e-réputation demeure confinée au web, le résultat final, au plan des perceptions, de l’image, de la valeur ou de la confiance, demeure pratiquement le même, au point où e-réputation et réputation se fondent en un seul tout. Ces chercheurs reconnaissent aussi une plus grande vulnérabilité à la réputation des entreprises à cause des médias socionumériques et de la vitesse de la couverture médiatique, entre autres. 

En effet, le rapport du citoyen avec l’entreprise a changé, parfois pour le bien, souvent pour le pire; presque toutes les entreprises se voient exposées «malgré elles, à des prises de position, à des avis de consommateurs, à des regards de concurrents. Tout se voit désormais sur la toile »5.  

Mais cette apparente transparence comporte en son sein quelques ambiguïtés, comme le soulignait Thierry Libaert6 dès 2003; elle sert de prétexte à des discours et à des actions souvent obscurs.

Tendance lourde du management contemporain, la transparence d’internet comprend plusieurs facettes. En premier lieu, la transparence dite volontaire, érigée dorénavant au rang de « valeur ». Il s’agit du processus par lequel une organisation accepte de transmettre des données, des informations et des connaissances à un vaste ensemble de parties prenantes. 

Poussée à l’extrême, ce type de transparence devient radicale7 ; tout est public et ouvert : processus décisionnel, versions et itérations de projets, entre autres. Il s’agit certes d’une approche qui séduit de nombreuses parties prenantes mais qui comporte aussi son lot de risques et de contraintes. 

En deuxième lieu, la transparence involontaire ou de facto : moteurs, répertoires, listings gouvernementaux ou d’associations auxquels il faut ajouter d’autres types d’agrégations et d’espaces médiatiques tels des blogues. On parle de vous sans que vous ne le sachiez nécessairement ; il s’agit donc d’informations disponibles ailleurs et dont vous ne maîtrisez pas le contexte. 

Habituellement, cette transparence de facto persuade les organisations à adopter les  médias socionumériques, sinon à y élaborer des mécanismes de veille. 

Enfin, la transparence dite contrôlée est souvent volontaire, mais parfois déguisée ou artificielle. Dans ce dernier cas, elle cherche à créer une impression de comportement spontané et relève de l’astroturfing ; il s’agit bien entendu, de l’antithèse de la transparence.

Références :

1 The death of Spin ? How the internet Radically Changes The Way Corporations Will Communicate, The Institute of Public relations, The Public relations e-Commission, April 2000.

Voir aussi : Transparency, Porosity and Agency (David Phillips, 2007). Consulté le 5 mai 2013.

3 How Big Data is Changing the Whole Equation for Business (S. Rosenbush & M. Totty). Consulté le 14 mai 2013.

4 La réputation de votre entreprise : est-ce que votre actif le plus stratégique est en danger ? (Nathalie de Marcellis-Warin et Serban Teodoresco, Rapport Bourgogne, CIRANO, avril 2012

5 Réputation des entreprises : la nouvelle donne des médias sociaux. Consulté le 2 mai 2013.

6 La transparence en trompe-l’œil (Thierry Libaert). Consulté le 12 mai 2013.

7 Voir la présentation de Christian Chalifour (La transparence radicale –TEDxQuébec- 4 février 2013). Consulté le 18 mai 2013. http://tedxquebec.com/tag/transparence-radicale/


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Patrice Leroux

6 mai 2013

 
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