22 août 2014

Le Mandat de Melbourne et les relations publiques (3 de 3)


Voici le troisième et dernier texte d'une série de trois (1, 2, 3) à propos de grands principes et de normes d'évaluation en relations publiques: la Déclaration de Barcelone, les Accords de Stockholm et le Mandat de Melbourne.

Le Mandat de Melbourne est un ouvrage collaboratif de près de 1000 professionnels provenant d’une trentaine de pays. Le processus ayant mené au mandat a été animé et dirigé sous l’égide de la Global Alliance for public relations and communication management ; à ce jour, il demeure l’une de ses plus grandes réalisations (version française offerte ici en pdf).

Soulignons, au passage, la contribution exceptionnelle de deux professionnels chevronnés du Canada, à titre d’éditeurs du mandat : Jean ValinARP, Fellow SCRP, et Daniel Tisch, APR, Fellow CPRS (voir cette entrevue FIR). 

L’objectif d’obtenir un consensus sur les valeurs et le rôle des relations publiques a été atteint puis adopté unanimement le 12 novembre 2012, avec la publication de la version finale du mandat.

Une des prémisses de départ consistait à réitérer que les caractéristiques de l’organisation communicante – ainsi que les rôles, les responsabilités et la valeur des professionnels en relations publiques – évoluent très rapidement, particulièrement dans un monde où le grand public et les parties prenantes ont un accès sans précédent aux outils d’information et de communication.

Le Mandat de Melbourne a commencé à prendre forme grâce aux résultats obtenus à la suite d’un vaste sondage, suivi d’une proposition qui postulait trois grands principes - ou valeurs émergentes - pouvant être mis en pratique par les professionnels en relations publiques :

définir la personnalité et les valeurs de l’organisation;
implanter une culture d’écoute et d’engagement;
convier les individus et les organisations à adopter des comportements responsables.

Même si ces grands principes avaient déjà été abordés dans les Accords de Stockholm, comme on l’a vu ici, le Mandat de Melbourne offre un ensemble de pistes de réflexion et de balises concrètes, autant au plan des définitions proposées que de la mise en œuvre du mandat au sein de l’organisation communicante.

Définir la personnalité et les valeurs de l’organisation 

Comprendre les fondements de l’organisation, c’est connaître son « ADN » constitué de trois éléments fondamentaux : ses valeurs, son leadership et sa culture. 

Les valeurs sont l’ensemble des idées maîtresses qui orientent les décisions et les comportements de l’organisation; c’est ici qu’on peut retrouver sa mission et sa vision, entre autres. Le leadership comprend la capacité des dirigeants à façonner la personnalité de l’organisation, ainsi que les préceptes ou règles guidant la prise de décision et l’action. 

La culture englobe plutôt les manières de faire, de travailler et de se comporter collectivement à l’intérieur d’une organisation. Ce savoir-faire, combiné au savoir-être, influencent grandement les publics internes comme les publics externes ou autres parties prenantes.

Dans ce contexte organisationnel, les rôles du professionnel en relations publiques sont nombreux. En voici trois, parmi les plus ambitieux recensés :

attester que les valeurs soient bien vivantes et qu’elles obtiennent un soutien à l’interne et à l’externe;

s’assurer que les procédures et les méthodes de travail reflètent les valeurs organisationnelles;

pouvoir  valider ou remettre en question la mission de l’organisation et, le cas échéant, la reformuler.

Implanter une culture d’écoute et d’engagement 

En développant une culture d’écoute, les relations publiques sont davantage en mesure de déceler à la fois les risques, les menaces mais également les occasions pour améliorer la réputation de l’organisation. Il s’agit donc de pouvoir identifier puis d’activer tous les canaux pertinents pour favoriser l’écoute; elle permet de cerner les attentes des parties prenantes. 

Il faut donc pouvoir en tenir compte avant de poser quelque geste d’importance qui soit. Par ailleurs, la communication étant présente dans toutes les autres fonctions et disciplines, les relations publiques doivent collaborer à la création d’une stratégie d’écoute pour les ressources humaines, le marketing, les relations avec les investisseurs, etc. 

Enfin, il faut pouvoir non seulement évaluer l’efficacité de l’écoute mais démontrer que l’organisation la prend en compte dans la mise en œuvre de ses actions.

Convier les individus et les organisations à adopter des comportements responsables 

Le Mandat de Melbourne vient confirmer l’importance de comportements responsables à la fois chez les individus comme chez les organisations.  Pour l’organisation, les comportements responsables touchent aux questions de transparence, d’équilibre entre ses propres besoins et les intérêts du public, ainsi qu’au développement durable, entre autres. 

Dans cette optique, l’organisation comprend que sa réputation dépend en large part sur l’intégrité de ses actions, sur les façons dont elle 
communique ses orientations et ses activités.  Une organisation qui exagérerait la valeur de ses produits ou services, ou de ses actions en développement durable ferait preuve d’irresponsabilité. 

Il revient donc aux professionnels des relations publiques de procurer des conseils stratégiques et éthiques aux dirigeants de l’organisation pour assurer des prises de décisions et des actions responsables.

Les professionnels des relations publiques ont un devoir personnel et professionnel d’être sincère et honnête. Cette position ne rappelle-t-elle pas d'ailleurs le Code d'Athènes/pdf L’utilisation éthique de moyens et de canaux de communication fait d’ailleurs partie de bon nombre de codes et de normes de grandes associations.  

Bref, les professionnels doivent répondre de leurs actions, basées sur la recherche du bien et d’un bénéfice mutuel à long terme. Enfin, le praticien doit maintenir ses compétences par la formation continue pour exercer son travail de manière efficace et responsable.

Comment utiliser le Mandat de Melbourne et ses concepts dans la pratique? 

Les professionnels peuvent s’en servir comme guide pour définir la personnalité et les valeurs de leur organisation (voir ce billet de Dan Tisch à ce propos). Quelles sont-elles ?  Que valorise-t-on le plus chez les employés et chez les clients? 

Sommes-nous une organisation communicante ? Y existe-il une culture de l’écoute ? L’organisation adhère-t-elle complètement à sa mission, à sa vision et à ses valeurs ? Quelle est sa responsabilité envers la société ? Parmi les tâches et les rôles identifiés dans le mandat, quels sont ceux que vous devez bonifier, à titre de professionnel ? Quels sont ceux que votre équipe doit développer ?  

Ces questions ne sont pas banales. Si vous hésitez dans vos réponses, il est sans doute plus que temps d’élaborer un plan d’action dans un esprit d'amélioration…

Conclusion 

La  Global Alliance a développé un outil servant à mesurer les perceptions à propos des valeurs organisationnelles : l’indice d’intégrité et le test des valeurs (Integrity Index). Puisque les valeurs sont étroitement liées à la personnalité de l’organisation, l’intégrité se mesure par son degré de conformité aux valeurs réelles (ou proposées). Cet indice peut se faire
selon une perspective de l’interne et de l’externe; la correspondance entre les deux permet d’obtenir un portrait de la situation.

Enfin , Jean Valin, ARP, FSCRP et John Paluszek, ARP, Fellow PRSA ont publié en 2012 un document commandité par la compagnie énergétique italienne ENEL qui voulait savoir « qui a vu l’avenir des relations publiques ? ». 

Who has seen the future ? (pdf) est un rapport éclairant sur les compétences des professionnels en relations publiques ainsi que sur des approches corporatives innovantes en communication externe. 

On y retrouve plusieurs des dimensions et principes abordés dans les Accords de Stockholm  et dans le Mandat de Melbourne. 

Merci de votre lecture !

Patrice Leroux

11 août 2014

Les Accords de Stockholm et les relations publiques (2 de 3)



Voici le deuxième texte d'une série de trois (1, 2, 3) à propos de grands principes et de normes d'évaluation en relations publiques: la Déclaration de Barcelone , les Accords de Stockholm et le Mandat de Melbourne . 

Les Accords de Stockholm

Les Accords de Stockholm sont entérinés le 12 juin 2010 – quelques semaines avant le dépôt de la version finale de la Déclaration de Barcelone - par des professionnels et universitaires des relations publiques représentant près de 32 pays, à l’occasion du World Public Relations Forum, sous l’égide de la Global Alliance for public relations and communication management

Les médias socio-numériques changent la donne

L’évolution et la propagation rapide des médias socio-numériques incitent les organisations à examiner de plus près l’ensemble de leurs actions, de leurs politiques - voire de leurs comportements - ainsi que les façons dont elles les communiquent. Un des objectifs consiste à améliorer les relations avec les parties prenantes, devenues encore plus actives et influentes. 

Si la Déclaration de Barcelone visait l’enjeu fondamental de la mesure et de l’évaluation, les Accords de Stockholm mettent l’accent sur trois grandes valeurs sociétales et organisationnelles, tout aussi importantes pour l’avenir des relations publiques : le développement durable, la gouvernance et la gestion.

Ces accords visent non seulement à affirmer le rôle et l’apport des relations publiques à la réussite organisationnelle mais à en susciter l’adhésion de la part de tous ses praticiens et enseignants. 

Le développement durable  

La pérennité et la durabilité des organisations reposent sur l’atteinte d’un équilibre entre les demandes du présent et celles du futur, tout en tenant compte des dimensions économique, sociale et environnementale. La responsabilité sociétale des entreprises (RSE) n’est plus une vue de l’esprit; les entreprises doivent rendre compte de leurs effets sur la société. 

Organisation communicante et reddition de compte

Dans cette optique, l’organisation communicante doit assumer un leadership en intégrant le développement durable à sa mission, voire à sa vision. Il s’agit, selon les experts, d’une occasion tout à fait unique permettant aux organisations de s’améliorer, d’une part, et d’autre part de contribuer à l’évolution de la société en optant pour une reddition de compte (source). 

Cette reddition de compte organisationnelle s’accompagne de rapports ponctuels faisant état des politiques, des actions, des réussites ou même des échecs au sujet de son triple bilan (en références aux trois dimensions mentionnées plus haut).

Associer les parties prenantes aux politiques de développement durable

C’est dans cette perspective que les professionnels en relations publiques doivent impliquer, voire associer les parties prenantes aux politiques et programmes organisationnels de développement durable. Dans la même veine, les professionnels doivent aussi pouvoir interpréter les attentes sociétales dans le but éventuel de pouvoir les transformer en engagements organisationnels. Enfin, toute discussion, participation et engagement doivent faire l’objet d’une communication transparente et authentique. 

Reporting intégré et relations publiques

Un des rédacteurs principaux des Accords de Stockholm,  l’Italien Toni Muzi Falconi, rapportait assez justement (ici)à quel point le Cadre de référence international sur le reporting intégré (source française en pdf) trouvait un écho favorable parmi les signataires des accords. 

Un rapport intégré, selon la vision du International Integrated Reporting Commitee, est une communication concise à propos d’une organisation. Le rapport doit répondre à la question suivante : en quoi sa stratégie, sa gouvernance, sa performance et ses perspectives, dans un contexte externe, peuvent-elles créer une valeur à court, à moyen et à  long terme ? 

En bout de ligne, ce reporting intégré vise à offrir une information complète au sujet de la performance totale d’une organisation. Cette vision se rapproche en effet de celle des Accords de Stockholm, à tel point que Muzi Falconi rapportait aussi que des pourparlers avaient eu lieu pour établir des relations entre l’International Integrated Report Council (IIRC) et la Global Alliance.

La gouvernance 

Il va sans dire que l’organisation qui exploite à bon escient un modèle de gouvernance des parties prenantes (stakeholder governance model) est en mesure d’habiliter les membres d’un Conseil d’administration, ses gestionnaires et bon nombre de publics externes, à déterminer, ensemble, les politiques gouvernant leurs relations (stakeholder relationship policies). 

C’est également dans cette optique que Muzi Falconi rappellera un autre événement important : le processus global du International Standards Organization (ISO) pour l’évaluation monétaire des intangibles, dont la marque plus spécifiquement (source). Ce processus souligne de façon explicite que toutes les parties prenantes doivent être inclues dans tout rapport d’évaluation.

Par ailleurs, l’organisation communicante doit pouvoir compter sur un accès à l’information et aux connaissances pour mieux comprendre les attentes des parties prenantes eu égard au triple bilan. Cet accès permet aussi d’identifier les enjeux, les occasions et les risques pouvant avoir un impact sur l’organisation.

Dans cette optique, les professionnels des relations publiques ont un rôle déterminant à jouer dans l’élaboration et la définition des valeurs, des principes, des politiques et des processus organisationnels. 

Ils doivent utiliser leurs habiletés et connaissances en recherche et en communication dans le but d’interpréter les attentes des parties prenantes et de la société en général, pour appuyer toute prise de décision de leurs dirigeants. 

Ce soutien ne peut se faire sans un modèle de gouvernance des parties prenantes basé sur la transparence et la confiance.  Pour y arriver, on prône une culture de l’écoute, un système ouvert permettant à l’organisation d’anticiper, de s’adapter et de répondre à tout enjeu émergent. 

La gestion 

Dans notre société en réseau, la qualité et l’efficacité d’une organisation sont souvent déterminées par la rapidité et le contexte de ses prises de décision. L’organisation communicante doit donc être gérée selon le principe qu’il est dans son propre intérêt de développer une sensibilité face aux besoins de ses 
parties prenantes ainsi qu’aux attentes de la société. 

Ce type de tâche exige, encore ici, des habiletés de recherche, d’écoute et de priorisation, entre autres, avant que des décisions opérationnelles et stratégiques ne soient prises. 

Dans cette optique, les professionnels des relations publiques ont pour tâche:
  • d’implanter des processus de communication bidirectionnelle; 
  • d’interpréter toute nouvelle information et connaissance sur des tendances et grands développements de la société; 
  • d’identifier et de résoudre toute problématique provenant de changements ou de points de rupture en société, particulièrement celle touchant la réputation organisationnelle et les relations avec les parties prenantes;
  • de communiquer la valeur des services ou des produits de l’organisation ainsi que ses relations avec ses parties prenantes, consolidant, de facto, son capital social, économique et juridique; bref, ce qui forme sa réputation.
Les Accords de Stockholm  présentent aussi la valeur opérationnelle des relations publiques sous deux angles distincts mais complémentaires : la communication interne et la communication externe.

La communication interne 

La communication interne permet de bonifier le recrutement, la rétention, le développement d’intérêts communs ainsi que l’engagement de divers publics internes en faveur des objectifs organisationnels.

Pour l’organisation communicante, la communication interne demeure vitale pour son développement et son existence même. Les relations publiques doivent favoriser la confiance et l’atteinte de buts communs parmi toutes les parties prenantes internes (des employés aux fournisseurs et contractuels, en passant par les bénévoles, par exemple).

Dans cette perspective interne, les professionnels doivent obtenir une rétroaction quasi constante pour :
  • connaître comment la communauté interne intègre, accepte et réalise la stratégie organisationnelle;
  • savoir comment les leaders et influenceurs internes collaborent et communiquent avec les autres parties prenantes;
  • comprendre comment les connaissances et les politiques sont partagées;
  • repérer comment les structures et processus sont reconnus, développés et améliorés;
  • identifier à quel point la réputation organisationnelle dépend en large part des actions prises par les parties prenantes internes.

La communication externe 

À cause de l’explosion des médias socio-numériques, entre autres, les organisations doivent examiner et ajuster leurs actions, leurs politiques et leurs comportements de communication dans le but d’améliorer leurs relations avec des parties prenantes dont la portée de l’influence est de plus en plus considérable.

L’organisation communicante doit donc développer des compétences pour entretenir et améliorer ses relations avec ses publics externes : clients, communautés, investisseurs, gouvernements, groupes de citoyens et médias, entre autres.

Dans cette perspective externe, les professionnels doivent :
  • s’assurer que la « voix » de l’organisation et ses intérêts soient pris en compte dans les délibérations et décisions des parties prenantes;
  • appuyer et conseiller toutes les autres fonctions organisationnelles dans l’élaboration de leur propre communication, dans le but de maintenir une compréhension mutuelle et bâtir des relations durables;
  • contribuer au développement et à la promotion de produits, de services et de tout autre processus visant à renforcer la valeur et la loyauté envers la marque;
  • soutenir diverses parties prenantes auprès de l’organisation en mettant sur pied des mécanismes pour assurer un dialogue constant dans le but de maintenir un capital social fort ainsi que la réputation organisationnelle.
Conformité et alignement de la communication interne et externe

Dans l’environnement complexe de la communication organisationnelle, avec des parties prenantes aux vues souvent divergentes, dans des contextes juridiques divers et des systèmes de valeurs qui le sont tout autant, l’organisation communicante doit s’assurer de la cohérence de ses messages. 

Dans ce contexte mouvant, baigné par des conflits d’intérêt réels ou potentiels, elle doit trouver un juste équilibre entre les exigences de la transparence, des demandes souvent pressantes et des ressources parfois limitées. 

Cela nécessite donc que la communication organisationnelle, avec toutes ses parties prenantes, soit coordonnée et alignée avec sa mission, sa vision, ses valeurs, ses actions et ses comportements.

Dans cette perspective d’alignement et de cohérence des messages, les professionnels doivent :
  • superviser le développement et l’élaboration des communications interne et externe en maintenant une écoute active, et en s’assurant  que l’identité de l’organisation soit présentée à travers des contenus cohérents ;
  • rechercher, développer, surveiller et ajuster les comportements de l’organisation, notamment au plan de ses communications ainsi qu’au plan de ses actions;
  • créer et alimenter un corpus de connaissances qui intègre les sciences sociales et humaines;
  • gérer et appliquer des méthodes de recherche pour mettre sur pied des programmes d’évaluation et de mesure dans un souci d’amélioration continu.
Les Accords de Stockholm présentent donc un ensemble de principes sur le rôle fondamental des relations publiques en communication organisationnelle, de la gestion stratégique des communications (interne et externe) à la gouvernance en passant par le développement durable et la gestion.  

Par ailleurs, ces accords soulignent aussi que le professionnel des relations publiques peut jouer un rôle à la fois politique (en fournissant des informations pertinentes -veille et monitoring - à propos d’enjeux divers) et un rôle contextuel. Ce dernier permet de faciliter la communication entre l’organisation et ses parties prenantes, dans le but d’accroître la qualité de leurs relations et par le fait même, de créer une plus grande valeur pour l’organisation même. 

Il va sans dire que les Accords de Stockholm ont jeté les bases fondamentales pour l’élaboration du Mandat de Melbourne, quelques années plus tard.


Merci de votre lecture !


Patrice Leroux

4 août 2014

De Stockholm à Melbourne, en passant par Barcelone (1 de 3)


Voici le premier texte d'une série de trois à propos de grands principes et de normes d'évaluation en relations publiques: la Déclaration de Barcelone, les Accords de Stockholm et le Mandat de Melbourne.

La Déclaration de Barcelone

C’est au début des années 2010 que trois grandes initiatives mondiales voient le jour dans l’industrie des relations publiques. Alors que la Déclaration de Barcelone établissait des principes et des normes d’évaluation, les Accords de Stockholm et le Mandat de Melbourne réaffirmaient la valeur des relations publiques et redéfinissaient son rôle fondamental au sein des organisations.

L’enjeu récurrent de la rentabilité des relations publiques (le fameux retour contre investissement) a toujours été un point d’achoppement parmi les professionnels, les agences et les clients.  Comment évaluer les interventions de relations publiques ? Ses aspects dits intangibles nuisent-ils à la démonstration systématique des efforts de communication ?

Sous l’égide de l’Association internationale pour la mesure et l’évaluation des communications (AMEC), la Déclaration de Barcelone est adoptée le 19 juillet 2010, à la suite du 2e Sommet européen sur la mesure. 

On y identifie sept grands principes pour orienter les indicateurs de valeur des relations publiques. En fait, il s’agit d’un ensemble de lignes directrices servant à mesurer l’efficacité des campagnes de relations publiques.

Assez rapidement, de grandes organisations et associations telle que la PRSA (ici) endossent la déclaration, dont le grand cabinet international Ketchum (ici en pdf) et plus près de nous, la Société québécoise des professionnels en relations publiques (SQPRP) où on retrouve la traduction française suivante.


Les sept principes de la Déclaration de Barcelone  

1. Il est important de fixer des objectifs et de mesurer leur degré d'atteinte.

2. Il est préférable de mesurer l'effet sur les résultats (outcomes) plutôt que les productions (outputs).

3. L'effet sur les résultats globaux de l'organisation peut et doit être mesuré lorsque c'est possible.

4. L'évaluation des parutions média doit être faite de manière quantitative et qualitative.

5. Les équivalences en valeur publicitaire (EVP) ne sont pas représentatives de la valeur des relations publiques.

6. Les médias sociaux peuvent et doivent être mesurés.

7. La transparence et la reproductivité sont de première importance pour la valeur des mesures.

Source: La SQPRP endosse la déclaration de Barcelone sur l’évaluation des relations publiques. 
Communiqué consulté le 8 juillet 2014.

Qui ? Quoi ? Combien ? Pour quand ?

Fixer des objectifs et mesurer leur atteinte font partie des aspects fondamentaux des relations publiques.  Ce premier principe est le bienvenu, particulièrement dans le monde des agences où, historiquement, on mettait plutôt l’accent sur les compétences, les stratégies, les tactiques, le budget puis, avec un peu de chance, l’évaluation. 

Par ailleurs, l’AMEC rappelle que les objectifs devraient être les plus quantitatifs possibles.  La mesure doit aussi être globale (holistic approach) et inclure les médias traditionnels et les médias socio-numériques. 

Enfin, pouvoir établir des objectifs mesurables implique de répondre à quelques questions toutes simples : Qui ? Quoi ? Combien ? Pour quand ?

La mesure des effets sur les résultats

Mesurer l’effet sur les résultats (outcomes), voire sur l’impact plutôt que sur les productions mêmes (outputs) signifie, entre autres, l’évaluation de tout changement d’attitude, de compréhension et de comportement envers un enjeu social, politique, commercial ou encore envers une décision d’affaires; tous ces enjeux peuvent avoir une incidence sur la réputation d’une organisation et sur la façon dont les parties prenantes la perçoivent. 

Dans cette optique, il n’est donc plus suffisant, par exemple, de mettre l’accent sur un nombre déterminé de communiqués de presse, de mentions, de brochures distribuées ou de mises à jour dans le fil d’actualités d’un média socio-numérique. Non pas que ce type de données soit inintéressant en soi, mais il demeure limité puisqu’il ne vise pas à mesurer les effets des relations publiques

Bien qu’on pense à des mesures plus quantitatives quand il est question d’attitude, de compréhension et de comportement, les mesures qualitatives doivent également être prises en compte pour obtenir un portrait plus global d’une situation. 

Par ailleurs, apparaît  aussi la question de la transparence pour toute méthode d’évaluation des résultats. La mesure des effets sur les résultats, en relations publiques, doit également s’aligner aux objectifs d’affaires de l’organisation au nom de qui sont conçus des moyens de communication. 

Impacts sur les résultats d’affaires ? Bien sûr !

Il n’est donc pas surprenant que le troisième principe mentionne explicitement l’évaluation des moyens de communication sur les résultats globaux de l’organisation, voire sur ses résultats d’affaires. 

Par exemple, en quoi des tactiques de relations publiques ont pu provoquer des décisions concrètes d’achat ou un changement d’attitude envers un service au point où la demande a été augmentée de manière significative ? Où se trouve l’apport des relations publiques par rapport au marketing mix ?  

On se rend donc bien compte que les relations publiques peuvent jouer un rôle déterminant sur les résultats d’affaires. 

Dans cette perspective, on semble vouloir se distancer  de « la valeur diffuse des relations », du paradigme classique, voire grunigien, qui avance que l’évaluation des relations publiques doit se mesurer à long terme, que la réputation, par exemple, est un actif intangible et que le véritable apport des relations publiques se trouve dans sa capacité, au mieux, à éviter des crises, ou, au pire, à bien les gérer et donc, à épargner à l’organisation des sommes d’argent considérables. 

À ce propos, consultez:

Bérubé P., Hirst E., Litalien G., L’évaluation des relations publiques à l’heure de la déclaration de Barcelone (3 mars 2011). Voir page 20 du document. Consulté le 10 juillet 2014. http://www.crpcm.uqam.ca/pages/docs/centres/rp/20110323_Conference%20Evaluation_SQPRP_3.pdf

Analyse quantitative contre analyse qualitative ?

Le quatrième principe rejoint le deuxième à certains égards. Il stipule que l’évaluation des parutions médias ne doit pas se limiter à un simple décompte. Certes, l’analyse quantitative demeure intéressante mais l’analyse qualitative, aux plans du ton - avec ses trois grandes orientations classiques (positif, négatif, neutre) -, du public cible, de la présentation du message, etc., reste de loin préférable pour obtenir un portrait convenable d’une situation donnée.

Rompre, pour de bon, avec l’équivalence en valeur publicitaire (EVP) ?

Le cinquième principe demeure, selon plusieurs observateurs, un des plus importants car il vise à rompre, pour de bon, avec une méthode d’évaluation très controversée : l’équivalence en valeur publicitaire (EVP). 

L’EVP consiste à accorder une valeur monétaire à la couverture de presse, au contenu éditorial, c’est à dire au média mérité (earned media). En gros, il s’agissait de mesurer l’espace média obtenu (la une, un éditorial, une brève, etc.,) ou encore le temps d’antenne (durant une émission de télé populaire par exemple) et de le multiplier (entre deux à cinq fois !) par les tarifs publicitaires en vigueur pour le même espace ou temps d’antenne… 

Cette pratique curieuse, datant des années 1930-1940 (source), avait encore cours à la fin des années 2000 dans certains grands cabinets de relations publiques. Affirmer qu’une retombée de presse comporte de deux à cinq fois la même valeur publicitaire - pour un espace égal et sans tenir compte du contenu - aurait fait du tort à l’industrie des relations publiques au plan de la crédibilité organisationnelle (source).


Voir aussi : Watson, Tom. Advertising value equivalence—PR's orphan metric, Public Relations Review, Volume 39, No. 2, juin 2013. Consulté le 12 juillet 2014. http://www.sciencedirect.com/science/article/pii/S0363811112002056

Par ailleurs, si certains observateurs ont dénoncé cette technique, entre autres dans les années 2000, d’autres ne sont pas disposés à la rejeter entièrement. On souligne par exemple que l’EVP, lorsque utilisée de manière stratégique dans des rapports d’analyse de presse crédibles, permet aux décideurs de comprendre plus rapidement les résultats car l’EVP adopte le langage des affaires (source). 

Il va sans dire que la presse, peu importe le médium utilisé, demeure un influenceur de taille partout à travers le monde. Si l’analyse de presse demeure une activité fondamentale des relations publiques, vouloir y établir à tout prix une valeur monétaire y demeure plus risquée, surtout quand on utilise des indices utilisés plus largement en publicité, tel que les points d’évaluation média (PEM) qui se rapprochent des points d’exposition brute (PEB).

À ce sujet, consultez Bérubé, Pierre, en collaboration avec Guy Litalien. L’évaluation et les indicateurs de performance, chapitre 9, (p. 328-353), in  Maisonneuve, Danielle, Les relations publiques dans une société en mouvance, PUQ, 4e édition, 2010.

Malgré tout, les professionnels des relations publiques, dans leur quête pour obtenir un statut de gestionnaire parmi les plus hauts dirigeants, peuvent aujourd’hui présenter des faits très concrets, chiffrés et mesurables dans leurs rapports d’évaluation. 

Démontrer quantitativement la valeur économique des relations publiques est aujourd’hui possible. Des outils de plus en plus sophistiqués et abordables existent; il suffit de savoir comment les utiliser.

Et l’évaluation des médias socio-numériques ?

Le 6e principe considère l’évaluation des médias socio-numériques comme une discipline et non comme un outil. La quantité phénoménale d’informations provenant des nouveaux réseaux et médias fait en sorte que les unités de mesure peuvent être très nombreuses (données de recherche, d’accès, de publication, de mention, de partage, de vente, etc.). Cependant, la mesure doit aussi mettre l’accent sur la qualité des « conversations » et la portée des «communautés », ce qui n’est pas une mince tâche.  

Lors de la remise de doctorats honoris causa par l’UQAM à Larissa et James Grunig, en 2011, les universitaires américains ont mis en garde les professionnels « contre les dérives potentielles de vouloir analyser un contenu qui n’est pas nécessairement pertinent». (source)

Le recours à des méthodes qualitatives « permettrait d’atteindre un niveau d’analyse permettant une compréhension plus fine de l’appropriation des médias sociaux numériques par les diverses parties prenantes». (source)

Dans cette optique, la mesure est certes fondamentale mais l’écoute, voire le monitoring et la veille, le sont tout autant. Enfin, dans la sphère des médias socio-numériques, les organisations doivent établir, ici aussi, des objectifs mesurables ainsi que des effets attendus sur les résultats.

Transparence et méthodes de recherche

Le 7e et dernier principe aborde des enjeux de transparence et de méthodes de recherche : provenance des échantillons, critères de collecte, types de sondage et de question, taux de participation et de réponse, marge d’erreur, probabilités, méthodes d’analyse (automatisée ou humaine) et de calcul statistique, sources d’indicateurs ou de contenus, etc.  

Enfin, la reproductivité des résultats demeure un indicateur clé de la qualité de l’évaluation; elle indique un degré de fiabilité certain puisque les résultats demeurent sensiblement les mêmes à travers divers échantillonnages auprès desquels on a utilisé la même approche.

Prochain texte: Les Accords de Stockholm


Merci de votre lecture !

Patrice Leroux

 
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