Je suis toujours assez surpris par ces histoires de faux communiqués de presse qui finissent par être repris par un grand groupe de média. La dernière victime: l'Associated Press (AP) qui a diffusé, pendant près de 35 minutes avant de le retirer, un faux communiqué. Il y est question de remise, voire du "cadeau" d'un retour d'impôt de 3,2 milliards de dollars de la General Electric (GE).... au trésor américain. C'était le 13 avril 2011.
Il faut savoir que la plus grande corporation américaine paie peu d'impôt malgré son chiffre d'affaires de 150 milliards et des profits nets de presque 15 milliards, grâce notamment à toutes sortes de stratégies et d'échappatoires de type offshore où la plupart des profits sont déclarés...bien à l'abri du fisc.
Mais c'est aussi sans doute cet article du New York Times (24 mars 2011) intitulé G.E.’s Strategies Let It Avoid Taxes Altogether qui a mis en furie la ou les personnes à l'origine du faux communiqué.
Voici une partie de ce faux communiqué: cliquez pour agrandir.
L'url ressemble en tous points à celle, légitime, du GE News Center (www.genewscenter.com) à la différence près que la fausse adresse contient la lettre "S", au pluriel; ce détail semblant avoir échappé à l'AP qui n'y a vu que du feu.
Il faut dire aussi que le texte est plutôt bien rédigé et reprend certains éléments classiques d'un communiqué traditionnel. Il contient des éléments véritables qui ont sans doute permis de croire en la bonne foi de GE et à son acte de "responsabilité sociale" même si la création d'un emploi aux États-Unis pour chaque emploi créé à l'étranger semble pousser le bouchon un peu fort...
Par ailleurs, GE s'est tout de même défendue, en rapport avec l'article du New York Times ci-dessus, à travers cette mise au point. À vous d'en juger.
Que doit-on retenir de tout cela ?
Que le principe de VÉRIFICATION a une fois de plus fait défaut.
Ce n'est pas la première fois que de faux communiqués se faufilent dans Internet. À ma connaissance, le premier faux de ce type a été émis en 2000 par un jeune criminel en col blanc au nom de la société Emulex. Cette histoire a même hérité d'une page sur Wikipedia.
En 2007, le populaire blogue techno Engadget rapportait avoir reçu par inadvertance un courriel interne d'Apple qui s'est révélé faux. Il y était question d'un retard important pour les lancements du premier iPhone et du système d'exploitation Leopard. Sans qu'il s'agisse du format d'un communiqué, les analystes s'étaient relayé la nouvelle et la capitalisation bousière d'Apple perdait 4 milliards en quelques minutes... Voici ce que Techcrunch avait à dire sur cette saga.
L'enjeu des impôts sur le revenu (entreprises et gens très riches) n'est pas banal, surtout chez nos voisins américains. Le faux communiqué de GE tient peut-être sa source d'un écoeurement assez aigu chez la classe moyenne américaine à qui on demande de payer de plus en plus -et dans le contexte que l'on sait - alors que les grandes entreprises et les multimillionnaires payent de moins en moins...
Même le célèbre milliardaire Warren Buffet a eu la décence de dénoncer cette iniquité, avançant même que sa propre secrétaire payait 30% d'impôt sur son revenu de 60 000$ alors qu'il en avait payé 17% sur des revenus de 46 millions en 2007... Voir article du Sunday Times à ce propos.
Il s'agit également du cheval de bataille du sénateur indépendant du Vermont, Bernie Saunders, pour qui l'effondrement de la classe moyenne américaine annonce des jours très maussades.
La première fois que j'ai entendu parler du mot curation, dans le sens web le plus actuel du terme, c'est John Borthwick qui l'avait prononcé à l'occasion d'une participation à l'émission The Gillmor Gang durant l'automne 2009... Voici ce qu'il avait à dire, entre autres, sur la curation, au début de l'année 2010.
Pour d'autres, le mot aurait été prononcé pour la première fois - hors des circuits de la muséologie- dès 2004 par Chris Anderson, le fondateur/présentateur des célèbres conférences TED qui s'en dit le "Chief Curator". Enfin, dans le monde du journalisme, c'est Robin Good qui s'en est approché le plus avec sa notion du NewsMaster, également en 2004.
Mais c'est à Steven Rosenbaum, auteur du livre Curation Nation, que revient la palme de la meilleure tentative pour expliquer le phénomène qui, disons le toute de suite, se présente de différentes manières et qui en adopte divers modèles et formes. Non seulement l'auteur présente un plaidoyer solide en faveur du principe de la curation mais aussi, par ricochet, il relate l'histoire et l'évolution du web au cours des 15 dernières années. Rosenbaum n'est pas le premier venu quant il s'agit de création et de présentation de contenus.
Les férus d'histoire apprendront aussi que les premières réalisations de Content Curation ont surtout consisté à regrouper, à organiser, à classer et à diffuser des quantités importantes d'information: du système de classement de Melvil Dewey aux choix des contenus des premiers câblodistributeurs, en passant par le Reader's Digest de Dewitt Wallace.
Mais la révolution Internet et surtout l'explosion des médias sociaux, rendent l'organisation des informations plus périlleuse sinon impossible.
Prenons seulement le canal YouTube : à chaque minute, 24 heures de vidéos y sont déposées (1). Bien sûr, on pourra toujours dire que 99% des contenus sont médiocres (du type "chaton fait pipi dans sa litière" ou "Jackass fait le pitre") mais il en reste tout de même 1%. Parmi ce 1% - tout de même énorme - se trouve peut-être un bijou d'information. On peut en dire de même pour les blogues, les sites de médias et d'entreprises, les sites de partage de toute sorte et bien entendu, les sites de réseaux sociaux.
Rosenbaum rappelle même que l'ancien directeur-général de Google, Eric Schmidt, déclarait en août 2010 (2) que depuis les débuts de l'humanité jusqu'en 2003, cinq exaoctets d'information avaient été produits. Depuis quelques années, la même quantité d'information est produite à toutes les 48 heures...et la croissance demeure constante.
Au plan des contenus générés par les utilisateurs (UGC), grands responsables de la surabondance de l'information - et phénomène qui donne en partie raison et naissance au concept de la curation Web - Rosenbaum était aux premières loges en créant et en produisant l'émission de télé MTV UNfiltered dès 1994 - unes des premières expériences de contenus provenant du grand public. Son succès a été instantané; on peut dire aussi qu'il a mené au phénomène de la "télé-réalité".
Plusieurs années plus tard, l'accessibilité aux moyens de production et de distribution étant devenue ce qu'elle est (presque tous les internautes aujourd'hui peuvent prétendre être un micro-média) Rosenbaum allait fonder un moteur de recherche de vidéos "en temps réel", un outil de curation appelé magnify.net. Son but ? Offrir les meilleures productions vidéos selon des domaines et des niches très spécifiques. Le choix et le tri des vidéos se feraient donc par le biais d'une intervention humaine et non par le biais d'algorithmes...
C'est justement cette intervention humaine qui est à la base de la curation. D'abord en matière de recherche, puis au plan d'une pratique d'éditorialisation des contenus et des liens; cette dernière n'étant pas tout à fait nouvelle puisque les blogueurs (les premiers véritables curateurs) et les journalistes avant eux avaient déjà développé cette pratique. Je reviens plus loin sur la place de l'édition et de la création de contenus en curation.
Rosenbaum postule que la recherche web ne fonctionne plus, qu'elle est brisée. Nous sommes dans un free-for-all de données et de métadonnées brutes. Il en fait la démonstration par une recherche de son nom dans Google Images. Il trouvera bien des images qui le concernent, et d'autres pas du tout, mais il souligne que le moteur ne peut pas faire de différence entre une photo de lui et une photo prise par lui. On sent donc que la recherche doit passer par une forme de curation humaine et sociale, et que les données doivent être accompagnées d'éléments contextuels que seule l'intervention humaine est en mesure d'offrir pour être vraiment efficace.
Comment en effet arriver à filtrer ce déluge d'information et à y trouver un sens ?
Une des promesses de la curation consiste donc à offrir des signaux de clarté parmi le vacarme ambiant et à regrouper ces signaux en un seul endroit et par le biais d'une mise en contexte particulière. Ce type de curation épouse donc les modèles de l'agrégation et de la distillation, deux des cinq modèles (3)de RohitBhargava, qui font dire à certains que la curation consiste à prendreles contenus des autres et à les placer ailleurs...
L'agrégation, même accompagnée de quelques bribes d'un contenu orignal peut parfois être contestée en Justice malgré le principe de l'usage équitable ou du fair use. Voir à ce sujet cet article en français.
Quoi qu'il en soit, Bhargava et Rosenbaum voient tous deux dans la curation des enjeux importants pour les entreprises, les marques, leur marketing, les médias et leurs stratégies de contenus mais également pour les communautés d'affinités. Pour ce dernier aspect, on peut songer à des communautés d'intérêts synchronisés à travers une curation commune où on parle tous du même sujet dans un espace-temps donné, ce qui enrichirait la conversation et réduirait la cacophonie, plutôt que d'avoir des avis multiples et épars dont les sources le sont tout autant.
C'est un aspect intéressant car cela touche à l'abondance des informations du real-time web que la curation peut en partie canalisée en right-time web. La diffusion et le partage de contenus pertinents, au bon moment, vers les bonnes personnes et à travers un canal commun ont eu, de tout temps, des répercussions significatives dans toutes les sphères de la société. Il va sans dire que ce type d'activité peut rendre service non seulement aux veilleurs, mais aussi aux analystes et aux spéciaistes en communication.
Mais un des modèles les plus intéressants de la curation consiste en ce que Rohit Bhargava nomme le mashup dans lequel de nouveaux savoirs et de nouvelles significations se greffent aux mots, aux images, aux sons et aux objets des autres. C'est également l'avis de Paule Mackrous, une des premières conservatrice ou commissaire du monde de l'art à s'être prononcée sur le phénomène et qui exige une "Web curation avec de la personnalité". (liens désactivés car devenus inactifs).
En effet, n'est pas web curateur qui veut. La pratique, quel que soit le domaine de prédilection, nécessite des habiletés intellectuelles multiples.
Personnellement, je n'entrevois pas de grand avenir pour la curation si elle n'est pas accompagnée d'un contenu original marqué: arguments en faveur des choix retenus, explication du contexte, réflexion, critique, analyse et création de nouveaux savoirs.
Voici un exemple d'agrégation personnelle sur le thème du Curateur de contenu, conçue avec l'aide de l'outil Pearltrees. Notez toutefois qu'il est aussi possible d'ajouter des commentaires pour chacune des "perles" colligées mais l'accent est mis davantage sur un type d'agrégation visuelle...
Voici un autre de mes arbres de perles intitulé Critique de la curation :
Quant on parle à la fois de création et de curation, l'effet donne plutôt ceci : voir un des mes billets écrit à l'aide de l'outil Storify ou encore celui-ci (liens désactivés car devenus inactifs).
En terminant, voici un billet largement inspiré d'une partie du chapitre # 15 du livre de Rosenbaum (Are content Aggregators Vampires ?) intitulé, chez Mashable, Why curation is just as important as creation. (lien désactivé car devenu inactif).
Le PDG d'une des plus grandes firmes de registraire Internet aux États-Unis, sinon au monde, Bob Parsons de GoDaddy, a mis en ligne une vidéo quasi-documentaire sur son plus récent exploit de chasse : abattre un éléphant avec un fusil de gros calibre.
Dans la vidéo ci-dessous, tournée au cours d'un récent voyage au Zimbabwe (mars 2011), Parsons se pose en héros. Pourquoi ? C'est que les éléphants, dont celui qui est abattu, ravagent semble-t-il les champs agricoles. C'est donc pour sauver les agriculteurs et la population avoisinante d'une famine certaine que Parsons est passé à l'acte.
En outre, la vidéo montre des gens qui se sont rués sur l'animal dès le lendemain matin pour le dépecer, certains arborant même une casquette à l'effigie du registraire américain.
Il n'en fallait pas plus pour qu'une bonne partie de la communauté web américaine se déchaîne dans des blogues, et sur Twitter, avec le mot-clic #godaddy particulièrement actif entre le 30 mars et le 2 avril 2011. En voici un exemple.
Ce qui surprend, c'est que Parsons est absolument convaincu qu'il a posé un geste louable et ne s'en formalise aucunement. Voir cette entrevue sur CNN.
Il n'en fallait pas plus aussi pour que l'organisation People for the Ethical Treatment of Animals (PETA) le nomme "Scummiest CEO of the Year", tout en soulignant qu'il existe des manières moins draconienne pour sauver les plantations.
Ne reculant devant rien, Parsons contre-attaque et souligne, avec lien à l'appui, que PETA tue (euthanasie) plus de chiens et de chats qu'elle n'en sauve...
Au moment d'écrire ce billet, des centaines de personnes menaçaient (et certains semblaient même passer aux actes) de changer de registraire. Un blogueur a même rédigé un billet pour expliquer le processus de transfert...
GoDaddy s'est souvent fait accuser de sexisme par le passé, notamment avec ses publicités destinées au SuperBowl. Voici un reportage d'ABC News dans lequel on peut voir ce registre publicitaire mais aussi le type de gestionnaire qu'est Parsons...
Difficile de prévoir si la dernière frasque de Parsons nuira à l'entreprise; pour certains, il semble qu'elle soit la dernière goutte d'eau qui ait fait déborder le vase...
Pour ma part, je dois avouer que je possède quatre noms de domaine enregistrés chez GoDaddy, dont patriceleroux.com qui renvoie sur ce blogue.
Je suis vraiment embêté !
Cependant, quand le temps des renouvellements se présentera, je crois que j'irai voir ailleurs...
Le geste et les arguments de Parsons ne me convainquent tout simplement pas.